J’ai eu le plaisir de participer au colloque « Corpus de Paysage » qui alieu à l’Université de Savoir du 4 au 6 avril avec Yasser Guenifi (Université Badji Mokhtar d’Annaba, yasser.guenifi@univ-annaba.dz) et Sylvain Hilaire (Université Paris 13 Villetaneuse et Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, sylvain.hilaire@culture.gouv.fr), pour présenter le résultat de notre atelier Vestigia-Songe de cet été.
Notre présentation s’intitule : « Vestigia-Songe, enseignements d’un jeu vidéo questionnant le patrimoine paysager de Port-Royal-des-Champs. Conception, réalisation et analyse des retours des joueurs. »
Résumé :
Dès 1992, le grand public a pu découvrir les premières reconstitutions en images de synthèse de monuments disparus, d’abord sous forme d’images, puis de films et, plus récemment, de dispositifs interactifs utilisant la réalité augmentée.
Bien qu’il soit doté d’une grande valeur historique et culturelle, et en plein essor dans son étude et sa mise en valeur, le patrimoine paysager n’a pas bénéficié de l’engouement pour les reconstitutions en images de synthèse, comme a pu le connaître le patrimoine architectural. De la même façon, la nature a un rôle mineur dans la plupart des jeux vidéo où elle sert principalement de décor ou d’objet à collectionner. Il reste ainsi à inventer et expérimenter les mécanismes de jeu (gameplay) pour l’interaction avec des éléments naturels vivants. Il est par ailleurs important d’évaluer le potentiel du numérique pour la valorisation du patrimoine naturel dans ses aspects les plus symboliques.
L’atelier Vestigia-Songe, qui a duré du 11 au 20 juillet 2017, avait pour objectif de proposer une exploration de ce questionnement. Il s’agissait de faire découvrir Port-Royal-des-Champs et le contexte de la refondation de l’abbaye par l’abbesse Angélique Arnauld au XVIIe siècle, en mettant l’accent sur le patrimoine naturel et paysager de ce monument. Un court jeu vidéo a ainsi été conçu et réalisé en partenariat par Edwige Lelièvre (maître de conférences, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France), Philippe Luez (conservateur en chef du patrimoine, directeur du Musée National de Port-Royal-des-Champs, France), Sylvain Hilaire (responsable du Centre de Ressources et d’Interprétation / GIP – Musée national de Port-Royal des Champs et doctorant, Université Paris 13 Villetaneuse et Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, France) et Yasser Guenifi (doctorant, Université Badji Mokhtar d’Annaba, Algérie),
Le projet a été présenté aux équipes du musée à l’issue de cet atelier, le 21 juillet 2017. Suite aux échanges, le prototype a été amélioré et mit en ligne fin juillet. Ceci a permis de réaliser des tests du jeu et d’obtenir des retours utilisateurs, dans le cadre d’une étude première étude qualitative.
Dans le cadre du colloque “Corpus de Paysages”, nous souhaitons étudier dans quelle mesure la création d’un jeu vidéo valorisant le patrimoine paysager permet aux concepteurs et aux joueurs de s’approprier le paysage. Pour répondre à ce questionnement, nous commencerons par présenter les enjeux de l’atelier Vestigia-Songe.
Nous décrirons ensuite le processus de conception et de réalisation du prototype Vestigia-Songe, basé sur notamment sur une recherche iconographique, photographique et in situ du paysage de Port-Royal-des-Champs. Nous mettrons l’accent sur les difficultés rencontrées lors de cet atelier et sur les questionnements suscités par la reconstitution du site à deux époques sous forme d’un jeu vidéo pour la valorisation du patrimoine, en insistant notamment sur les rapports à la fois mystiques et corporels au paysage. Nous nous appuierons pour cela une méthodologie de recherche-création.
Nous présenterons également les retours qualitatifs des personnels du musée et des joueurs, qui nous ont permis d’envisager des évolutions de ce prototype. Enfin, nous évoquerons les suites de ce projet, qui s’inscrit dans le cadre plus large du projet Vestigia, ayant pour objectif final d’amener les joueurs in situ à Port-Royal-des-Champs pour expérimenter un jeu vidéo multisupport visant à proposer une nouvelle façon de lier espaces physiques et numériques.
Bibliographie sélective :
Espen Aarseth. « Doors and Perception: Fiction vs. Simulation in Games ». Intermediality no 9 (2007): 35–44.
Jessica De Bideran, Visite numérique et parcours augmenté, ou les interactions complexes des touristes avec le patrimoine, Échappées (2), Multimédia, usages et usagers à l’ère numérique, p. 38-48.
Greg Costikyan, “Games, Storytelling, and Breaking the String.” In Second Person: Role Playing And Story in Games And Playable Media. MIT Press, 2007.
Elisabeth Cuddihy et Deborah Walters. « Embodied interaction in social virtual environments ». In Proceedings of the third international conference on Collaborative virtual environments, 181–188. CVE ’00. New York, NY, USA: ACM, 2000.
Bernadette Dufrêne, Madjid Ihadjadene, Denis Bruckmann (dir.), Numérisation du patrimoine. Quelles médiations ? Quels accès ? Quelles cultures ?, Éditions Hermann, coll. « Cultures numériques », 2013, Préface de Bruno Racine, ISBN : 978-2-7056-8742-7.
Pierre Gosselin, Eric Le Coguiec, and Collectif. La Recherche Création : Pour Une Compréhension de La Recherche En Pratique Artistique. Presses de l’Université du Québec, 2006.
[Catalogue d’exposition. Commissariat : Christine Gouzi et Philippe Luez], Port-Royal, ou l’abbaye de papier. Madeleine Horthemels. 1686 – 1767. Yvelinédition, 2011, 48.
Sylvain Hilaire, « Herméneutique du désert et paysages sacrés de Port-Royal des Champs », in Sacred Landscape and Visual Exegesis in Early Modern Europe, M. Weemans, D. Ribouillault (dir.), actes du colloque international tenu à l’INHA à Paris les 29 et 30 juin 2007, Florence, éd. Olschki, 2011, 317–328
Sylvain Hilaire, « Règles, limites et herméneutique du jardin à Port-Royal : l’autre versant culturel du Grand Siècle classique », in Des Jardins Autres, actes du colloque de l’Université Paris III Sorbonne Nouvelle / Muséum national d’histoire naturelle de Paris, 2015.
Matthew Kapell, Playing with the Past: Digital Games and the Simulation of History. Continuum Publishing Corporation, 2013.
Karleen Groupierre et Edwige Lelièvre, “Les ARG Comme Paradigme de L’immersion : Exemple Du Projet « Ghost Invaders – Les Mystères de La Basilique”, Sociétés, Trans-immersion (De Boeck Université, à paraître).
Edwige Lelièvre et Karleen Groupierre, « Les Mystères de La Basilique, Plaisir fictionnel, ludique et esthétique au service du patrimoine », in Actes Du Colloque Ludovia 2012, 2013, 12 pages.
René Passeron, La naissance d’Icare: éléments de poïétique générale. Marly-le-Roi, France: Ae2cq éd, 1996.
Présentation du colloque « Corpus de paysages »
Colloque interdisciplinaire organisé par le laboratoire LLSETI
Université Savoie Mont Blanc, 4-6 avril 2018
Organisateurs : Pascal Bouvier et Dominique Pety
La Convention européenne du paysage (2000) a donné un orientation nouvelle aux campagnes photographiques impulsées par la DATAR dans les années 1990, en mettant fortement l’accent sur la perception du paysage par les populations, et en encourageant les démarches participatives, pour mieux associer à l’identification et à l’aménagement des paysages, l’usager, l’habitant, le non-professionnel, dont la sensibilité ou la pratique quotidienne sont désormais pensés comme complémentaires des compétences scientifiques de l’expert.
Ce lien entre le paysage et sa perception et son appropriation symbolique par ceux qui l’habitent ou simplement le parcourent, nous voudrions l’analyser à travers une série de dispositifs numériques récemment apparus ou reconfigurés, qu’ils concernent des captations photographiques des paysages d’aujourd’hui (comme dans le cas des Observatoires photographiques des paysages (OPP)), ou qu’ils modélisent divers types de fonds patrimoniaux (bibliothèques, musées) autour de la thématique privilégiée du paysage[1].
Ils nous proposent en effet des corpus inédits, corpus de paysages qui suscitent divers types de questionnement.
Sont-ils simplement, selon une approche positiviste, des sources documentaires qui nous renseignent sur le paysage et l’évolution de sa perception et de son aménagement ?
Parce qu’ils procèdent, comme tout corpus, d’un processus de sélection et de collation, ces corpus de paysage donnent lieu à une mise en forme qui transforme, et ne se réduisent pas à un pur échantillonnage. En effet, comme l’a montré Alain Roger, le paysage est d’emblée une construction du regard. La photographie de paysage est elle-même une représentation du paysage, une nouvelle étape dans la médiation culturelle (et il faut d’autant plus interroger ce medium, et le choix d’artistes photographes par les OPP, à l’ère du numérique et de l’image fluide en réseaux, et en conjonction avec l’apparition de la notion de « paysage ordinaire », qu’il nous faut apprendre à voir, comme la campagne, la mer, la montagne, ont fait elles aussi l’objet d’une maturation du regard). Un corpus (évolutif) de photographies du paysage (ou de photographies numériques de tableaux ou de gravures de paysages) est un échelon supplémentaire franchi dans la mise en forme des paysages. Quand en outre ces recueils numérisés sollicitent ouvertement la contribution des publics, est-ce simplement pour l’enrichissement du corpus, proposé comme objet d’étude, ou est-ce que la manipulation même du corpus, à l’instar des objets d’une collection, n’opère pas déjà dans le sens d’une appropriation symbolique, replaçant le sujet au cœur du paysage et / ou au cœur du corpus de paysages, amplifiant l’inscription dans le « milieu » (Augustin Berque) ?
Quelle appropriation des paysages (et des patrimoines qui les représentent [livres, photos, tableaux, textes, œuvres d’art contemporain…) ces corpus numériques permettent-ils donc véritablement ?
Et quelle participation à l’élaboration des paysages, ou d’abord, et plus modestement, aux corpus qui les représentent, ces dispositifs numériques encouragent-ils ?
L’enjeu est aussi de réfléchir à cette « souffrance spatiale » récemment identifiée par Bruno Latour, qui souligne la nécessité de réarticuler le local et le global[2]. Au-delà des corpus supports de savoirs, des projets qui impliquent une expérience ludique, esthétique ou artistique, sont peut-être aussi le moyen d’amorcer ces processus de reconfigurations, qui recréent une familiarité à l’échelle du cadre de vie, mais aussi au niveau des liens multiples qui l’unissent désormais avec des réalités beaucoup plus éloignées.
[1] Voir par exemple la base Viatimages de l’Université de Lausanne (https://www.unil.ch/viaticalpes/fr/home.html) ou le serious game Paysage in situ développé à partir des fonds des musées isérois (http://www.paysages-in-situ.net/)
[2] Bruno Latour, « La mondialisation fait-elle un monde habitable ? », 2009, http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/P-145-DATARpdf2.pdf
Comité scientifique du colloque Corpus de paysages :
1. Caroline BONGARD, Directeur des musées de la ville de Chambéry
2. Eliane BURNET, MCF honoraire, USMB, LLSETI, philosophie
3. Jacques FATRAS, responsable de l’Observatoire photographique des paysages de Haute-Savoie, CAUE 74
4. Michael JAKOB, PR, professeur d’histoire et de théorie du paysage, HEPIA (Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture), Genève
5. Lionel LASLAZ, MCF HDR, USMB, EDYTEM, géographe
6. Charles-Francois MATHIS, MCF histoire, CEMMEC, Université Bordeaux Montaigne
7. Philippe ORTEL, PR, Université de Toulouse, littérature française
8. Jean-Pierre PETIT responsable de l’Observatoire photographique de paysages en Savoie, CAUE 73